Je souhaite exprimer une idée très simple, le plus clairement possible et sans ambiguïté.
Personne ne peut assurer à quiconque un travail illimité. La sécurité absolue d’avoir un emploi demain est une utopie. Demander à des patrons, donc des employeurs de garantir un travail perpétuel à leurs employés, sous une forme ou une autre, sans tenir compte de paramètres qualitatifs économiques et humains fluctuant dans le temps est la pire chose qu’on pourrait imaginer. Ce n’est tout simplement pas possible dans notre système économique global.
Par contre, on peut parfaitement affirmer sans se tromper que l’objectif évident des patrons, à qui je préfère le terme plus moderne d’entrepreneurs, est de maintenir et de développer leurs activités. Pour y parvenir, ils doivent nécessairement embaucher des collaborateurs, et donc créer des emplois. Si les collaborateurs qu’ils embauchent sont des éléments qualitatifs, l’activité est d’autant plus stimulée, tout le monde y gagne par principe.
Nous parlons là des entreprises très petites, moyennes, petites industries, des artisans et des travailleurs indépendants, qui composent l’écrasante majorité des entrepreneurs. J’écarte bien sûr de mon raisonnement les quelques acteurs majeurs internationaux, généralement côtés en bourse, qui ont un mode de gestion des personnels humains déplorable, bien entendu. Parlons donc de choses à échelle humaine. Parlons de la réalité de ce que vivent la quasi-totalité des patrons, qui n’est pas du tout la même réalité que dans les très grosses entreprises.
Les hommes et les femmes qui entreprennent sont des individus qui aspirent sans doute plus que d’autres à la liberté dans toutes ses formes et qu’il faut maintenir libres. En contrepartie de quoi ils stimulent l’économie du pays et peuvent même transmettre leur passion d’entreprendre, pouvant ainsi créer une émulation au sein de la population, visant à toujours plus d’activité, et donc d’emplois. Plus vous les enfermez et vous leur ferez subir des contraintes, moins ils seront combatifs, moins ils seront motivés, moins ils investiront leur énergie et moins ils agiront pour la cause commune, ou en intégrant d’autres individus à leur dynamique. Comme ils forment la seule et l’unique puissance créatrice d’emplois, en les bridant, on doit dès lors s’attendre à faire face à de sérieuses difficultés, les mots sont probablement trop faibles.
Les entrepreneurs ont toujours besoin de respirer et d’avancer. Tant qu’on ne les étouffe pas, ils resteront productifs en terme de projets nouveaux, et donc d’emplois nouveaux. Malheureusement, désormais ils sont déjà en passe d’être asphyxiés.
Aujourd’hui, les entrepreneurs subissent plus que jamais les pires pressions individuelles, et on se demande bien comment il est encore possible pour eux de les surmonter. Pression économique d’abord, ils voient leurs activités diminuer et ne parviennent pas à faire face à la concurrence internationale, européenne ou locale, souvent scandaleuse, déloyale, inéquitable et injuste. Pression sociale ensuite, ils sont critiqués et montrés du doigts par 70% de la population qui estime qu’ils ne pensent qu’à eux, et qu’ils se moquent bien de l’avenir de leurs employés, on dit d’eux qu’ils s’enrichissent sur le dos de leurs salariés, qu’eux sont les riches, et les autres les pauvres. Pression Fiscale également, leurs entreprises et eux-mêmes sont soumis à des taxes directes et indirectes qui dépassent le seuil de l’indécence. Pression financière, avec des charges fonctionnelles, structurelles, salariales, et patronales toujours plus importantes, ne cessant jamais de grimper, les coûts augmentent systématiquement et perpétuellement, les banquiers serrent les vis, et chaque jour il faut faire face à de nouvelles difficultés (pour 1000 euros payés net à un employé, il en coûtera plus de 2500 euros au patron, charges salariales, patronales, mais aussi fonctionnelles, opérationnelles et de formation incluses, donc bien plus du double). Pression psychologique finalement, avec des troubles comportementaux légitimes dans de telles conditions, qui peuvent avoir des conséquences multiples sur le plan relationnel vis à vis de leur entourage, de leurs salariés, de la population, de la justice, de la politique, du gouvernement, du système tout entier (des sentiments divers comme le doute, la suspicion, la méfiance, l’inquiétude, la paranoïa, la désolation, la déprime, l’incompréhension, la rupture peuvent légitimement prendre naissance lorsque des situations complexes s’installent dans la durée, bloquant ainsi l’individu dans une sorte d’impasse où il ne peut pas ni avancer ni reculer avec tout le poids de sa structure qui lui pèse, pouvant conduire à la liquidation de sa société et à sa faillite personnelle). Tout ceci serait insupportable à vivre pour la grande majorité des personnes. Pourtant, il y a une catégorie de gens, les entrepreneurs, pour qui c’est désormais le lot quotidien.
Gardons toujours à l’esprit qu’un employeur est un individu qui va prendre des risques majeurs pour lui, pour sa famille, et pour les gens dont il a la charge et la responsabilité.
Aujourd’hui par le fait d’innombrables causes et conséquences que je ne vais pas lister car on en connaît tous au moins deux ou trois qui nous sembleront évidentes en fonction de nos propres expériences, il y a une « crise de confiance profonde » entre les employeurs, la population et le pouvoir politique.
En réalité, ce qui se passe est simple. Les gens cherchent des responsables au fait qu’il n’y a pas suffisamment de travail, et que le peu de travail qu’on peut trouver est sous-payé, et souvent précaire. Les entrepreneurs sont stigmatisés, on considère qu’ils portent une responsabilité importante dans le marasme social. Pourtant ils sont également des victimes, à leur niveau. Je sais que c’est difficile à admettre, mais on ne peut pas reprocher à un entrepreneur de vouloir protéger ses investissements, sa création, ce qu’il considère comme ses projets, ses idées, et le temps et l’énergie qu’il aura dû consacrer à la réalisation de ses rêves ou de ses passions. Les plus grandes difficultés pour les décideurs c’est d’avoir des perspectives claires et sécurisantes, de la visibilité devant soit, et de pouvoir faire marche arrière quand cela devient nécessaire pour la survie de l’outil de travail. On ne peut pas demander aux entrepreneurs de voir dans un brouillard épais, tout en se déplaçant avec des boulets solidement fixés à leurs deux jambes.
Dans le système économique tel qu’il existe aujourd’hui, quand l’activité augmente, il me paraît évident qu’on doit pouvoir embaucher, et créer des emplois libérés de toutes contraintes irréalistes, illogiques ou farfelues, et quand l’activité économique baisse, on doit pouvoir alléger les structures, ce qui leur permettra par ailleurs de rebondir ultérieurement au moment propice, regénérant de l’emploi. Dans un système fermé, pour une structure donnée, on ne peut pas garantir un accroissement constant, régulier et un cadre sécurisé qui pourrait garantir l’emploi et augmenter de manière permanente l’embauche.
En expliquant cela, je fais simplement preuve de bon sens. Penchez-vous une seconde sur la question en toute objectivité et regardez les choses en face pour le comprendre.
Par ailleurs, j’ajoute qu’on ne doit pas considérer que l’emploi est un dû, mais il doit se mériter. En contrepartie il doit bien entendu être rétribué loyalement, honnêtement, équitablement et de manière juste, dans le respect de toutes les parties.
Je sais que les syndicats vont avoir un peu de mal avec moi sur ce sujet sensible, mais il ne m’a pas semblé qu’un seul syndicat ait pu créer un jour un seul emploi dans le cadre d’un projet d’entreprise qu’il aurait mené, depuis l’idée originale jusqu’à la création de la structure, en n’ayant jamais à critiquer les contraintes qu’il aura à subir.
Mon sentiment profond est que les syndicats sont en dehors des réalités, et ils n’ont plus aucune légitimité à mes yeux, ils polluent et parasitent le système, corrompent les idées des salariés, et finissent par les tromper. Les syndicats sont à repenser totalement. Mais c’est un autre débat.
Pour en revenir à l’initiative, le mécanisme est toujours le même. Des entrepreneurs ont des idées pour développer l’activité. Ils mettent sur pieds leurs projets avec leur énergie et leurs ressources financières. Ils chercheront à recruter des collaborateurs qui devront nécessairement être des gens formés et adaptables, fiables, loyaux, honnêtes, intègres, et bien sûr travailleurs, avec une conscience professionnelle et du respect partagé. Ensuite, comme dans toute entreprise humaine, des difficultés peuvent survenir, et il faut pouvoir revenir en arrière de façon intelligente et responsable.
Depuis un certain temps déjà, force est de constater qu’il devient de plus en plus difficile de trouver sur le marché des demandeurs d’emploi motivés par le travail, formés à la réalité de l’entreprise, loyaux, honnêtes, intègres et respectueux, notamment dans les catégories des nouveaux entrants.
Une majorité de jeunes qui cherchent du travail n’a aucune idée de comment travailler, comment être productif, quelles sont les attentes des employeurs, que signifie la conscience professionnelle, que signifie l’implication en entreprise, le travail collaboratif, le respect de la hiérarchie, l’investissement fait par les autres pour soi, la rentabilité. La plupart ne savent pas correctement ni lire ni écrire, et ne disposent pas des ressources élémentaires pour s’intégrer dans un cadre professionnel « en production », dans la réalité de terrain. Les entreprises ont besoin d’éléments opérationnels. Le système leur propose des jeunes « qualifiés » à tout, sauf bien sûr à être prêts à travailler.
D’un côté vous avez des employeurs qui ne parviennent pas à impliquer les jeunes dans leur démarche d’entreprise, et de l’autre côté vous avez des jeunes qui veulent travailler le moins possible, pour gagner le plus possible, et immédiatement. C’est encore faire preuve de bon sens que de faire cette constatation, qui débouche sur une impasse absolue.
Au milieu vous avez la machine à produire des travailleurs, le système éducatif.
Pour bien comprendre le fond du problème, il faut déjà admettre que le système éducatif français est calamiteux. Les enseignants et professeurs sont déprimés par l’incapacité qu’ils ont à faire leur travail de transmission des connaissances, sans parler de l’amélioration des connaissances déjà acquises. Dans bien des cas, les élèves sont désintéressés, insolents et irrespectueux, condamnant ainsi toutes les démarches éducatives, ils n’ont pas conscience de ce qu’est le travail, de ce qu’il implique comme démarche personnelle. La productivité du système éducatif français (sous-entendu à générer des individus responsables et consciencieux) est anéantie.
Aujourd’hui, les écoles, les lycées et les universités sont des garderies. Les professeurs sont de simples animateurs, presque des surveillants dans un environnement turbulent et improductif. Un système qui coûte une fortune aux actifs, pour un résultat déplorable, miséreux je dirais.
Par ailleurs, les élèves pourraient en apprendre plus sur l’internet, et plus vite, que pendant une session de cours en classe.
On ne parvient pas à transmettre les connaissances de base aux élèves, comment peut-on imaginer pouvoir les intéresser au travail? Admettons que la « qualité moyenne » d’un jeune à la recherche d’un emploi, et son « aptitude » au travail sont loin de pouvoir convaincre un employeur. A qui le reprocher? Au système éducatif trop laxiste, aux parents qui baissent les bras, aux politiques qui se succèdent sans jamais oser réformer, aux jeunes eux-mêmes et à tout ce qui fait que nous sommes tous dépassés par les événements, tant tout est de plus en plus complexe.
Bien entendu, tous les jeunes qui entrent dans le marché du travail ne sont pas des illettrés, ne sont pas mal élevés ou irrespectueux, et ne sont pas des incapables, mais une proportion non négligeable et croissante d’entre eux le sont désormais. Les employeurs le savent, ils ne peuvent donc pas négliger ce paramètre au moment de l’embauche, et les conditions actuelles légales font qu’un employeur a deux possibilités, soit il ne se trompe pas et il embauche un collaborateur dont il va être fier, et dont il n’aura jamais à se plaindre, soit il se trompe et il va connaître des situations conflictuelles aux conséquences multiples et déplorables, parce qu’il ne pourra pas facilement s’en détacher.
Prenez connaissance des dossiers qui sont traités dans les institutions prud’homales. Écoutez les patrons scandalisés qui affirment qu’ils n’embaucheront plus jamais personne, et surtout plus des jeunes, parce qu’ils ont eu à se défendre face à un employé à qui les syndicats expliquent qu’il aura toujours gain de cause et qu’il ne faut pas hésiter à attaquer son ex-employeur (jackpot à la clé).
La rupture de confiance est un fait, c’est désormais inutile d’en débattre. C’est un fait de société avéré pour qui est observateur.
Un employeur ne pourra plus prendre de risques avec un nouvel entrant dès le premier jour et pour une durée indéterminée, sans avoir pu expérimenter avec lui son chemin dans l’entreprise, et construire peu à peu une confiance quand c’est possible, surtout dans les entreprises qui ont moins de 20 salariés, et je le répète, il s’agit de l’écrasante majorité des cas.
Je considère que la confiance se mérite et se gagne avec des preuves et des engagements, et sur une période longue. Une période d’essai de 30, 60 ou même 90 jours ne permettra jamais de se faire une idée précise et juste, et ne laissera à personne le temps de créer un climat de confiance et de sereinité, propice à la prise d’initiatives et de risques maîtrisés.
Les employeurs ont désormais besoin de s’assurer qu’ils peuvent à la fois faire confiance en l’avenir et en leurs futurs employés, sans quoi ils ne créeront plus d’emplois parce qu’ils ont des craintes légitimes et fondamentales.
Le gouvernement français propose un « CNE » et un « CPE » pour les jeunes de moins de 26 ans, des contrats à durée illimitée, qui présentent la particularité de pouvoir être rompus par l’une ou l’autre des parties presque sans condition dans les deux premières années.
Voilà des nouveaux « outils » qui pourraient permettre de redonner un peu de confiance et d’énergie aux employeurs, qui pourront ainsi décider d’embaucher des jeunes, de financer leur formation et leur donner une expérience à faire valoir plus tard s’ils ne restent pas dans l’entreprise. Les jeunes, en retour devront faire preuve de respect, de vélocité, d’implication et de capacité d’intégration, c’est bien la moindre des choses quand on a gagné un premier emploi, un deuxième ou un troisième, qui sont à chaque fois autant de nouvelles expériences qui marqueront le début de leur vie professionnelle.
Avec de tels « outils », l’entreprise sait qu’elle a deux ans pour s’assurer que son nouvel élément s’intègre parfaitement à son nouveau travail, et qu’au pire si l’intégration échoue, elle peut mettre un terme à l’embauche (ce qui semble bien légitime, d’autant qu’à ma connaissance, il n’existe pas d’entrepreneurs qui investissent sur des collaborateurs avec un objectif de s’en séparer moins de deux ans plus tard, ce qui serait contre-productif et illogique), et le jeune employé bénéficie d’une période de deux ans pour s’intégrer et pour montrer qui il est vraiment, reconnaissant du travail qu’on lui offre, dans la mesure où il a accepté de le faire.
Je vais vous le dire comme je le pense. Quand on expérimente la relation humaine, le contact étroit avec les gens, le rapport employeur/employé, deux ans ce n’est pas trop long pour savoir si on a affaire à quelqu’un de bien, et pour l’un, et pour l’autre, par contre c’est une durée idéale pour décider à terme d’intégrer définitivement l’employé si l’expérience a été fructueuse.
Ces nouveaux contrats ne sont pas la solution au problème de l’emploi ni à celui de la crise économique, mais constituent des éléments de réponse. Avant de renoncer à une initiative, il vaut mieux parfois l’éprouver. Et si en plus, par miracle, les charges des entreprises pouvaient baisser de manière significative en contrepartie d’embauches solides, nous pourrions dire que nous avançons.